Quelle pandémie ?

Nous connaissons bien ceux qui disent de la pandémie qu’elle n’est qu’un prétexte mobilisé par l’État pour exercer son biopouvoir. D’autres lui font réciter le catéchisme dépolitisant de la question sanitaire. Pourtant, si elle est bien réelle, alarmante et loin d’être finie, la pandémie ne l’est cependant pas en tant que phénomène purement politique ou strictement sanitaire.

La pandémie se prête trop facilement à tous les exercices de ventriloquie. Nous connaissons bien, en France, ceux qui veulent lui faire dire qu’elle n’est qu’un prétexte mobilisé par l’État pour exercer son biopouvoir. Ailleurs, d’autres lui font réciter un certain catéchisme dépolitisant de la question sanitaire. Si elle est bien réelle, alarmante et loin d’être finie, la pandémie ne l’est cependant pas en tant que phénomène purement politique ou strictement sanitaire. Son impact ne se laisse mesurer que sur le fond des conditions écosociales, essentiellement inégales et hétérogènes, dont nous essayons ici d’esquisser les contours. À partir de trois lieux qui révèlent l’inanité de tout récit unifié de « la » pandémie (1.), ce texte critique les approches unilatérales de celle-ci (2.) et, sur cette base, la notion même d’une « politique sanitaire » séparée (3.). 

1. Trois lieux de la pandémie

1.1. Chine : « China doesn’t want to take any chances » 

Commençons là où tout a commencé : la Chine. Après une période de deux mois d’improvisation, de chasse aux lanceurs d’alerte et de déni, le 23 janvier 2020, le gouvernement central de Chine décrète un confinement strict de la ville de Wuhan et d’autres villes de la province de Hubei. Celui-ci va durer 76 jours. Onze millions de personnes dans la ville, 56 millions dans la région et les villes voisines, sont confinées et coupées du reste de la Chine pour une durée de deux mois et demi. Des fenêtres de la ville, on entend les habitants crier « Wuhan reste forte ! » Rues vides, écoles fermées, immeubles barricadés à l’acier, quartiers repliés sur eux-mêmes, entreprises et usines productrices de biens inessentiels condamnées. Macron n’aura que pathétiquement plagié la « guerre du peuple » chinois contre le virus proclamée par Xi Jinping.

Quelques mois plus tard, en mai 2020, suite à l’annonce de six nouveaux cas de covid-19 et alors que le gouvernement tente de faire repartir l’économie, Wuhan annonce vouloir tester ses onze millions d’habitants en moins de deux semaines ; le plan sera désigné comme « la bataille des dix jours ». Tandis que les annonces par haut-parleurs ont commencé, les travailleurs itinérants sont dénichés et ralliés à la cause sanitaire. Il s’agit de rassurer les esprits, puisqu’il faudra bien retourner travailler et consommer un jour. Il paraît que la ville – où les services et usines sont à l’arrêt – perd jusqu’à six milliards de yuan (884 millions de dollars) chaque jour. Cette nouvelle expérimentation sociale à grande échelle sera gratuite pour tous, couverte par l’assurance médicale de base chinoise. Depuis le mois d’avril, la Chine produit cinq millions de kits de test covid-19 par jour. À Wuhan, ce n’est pas (encore) le refus de se faire vacciner qui fait perdre à l’individu sa capacité de voyager, de travailler ou de rentrer dans un supermarché : c’est le simple refus de se faire tester. 

En attendant, entre le mois de janvier et l’été 2020, la Chine a vu chuter son PIB réel de 6,8 % au premier trimestre pour les estimations les plus optimistes et de plus de 19 % pour les estimations les plus récentes : une première depuis quarante ans dans ce pays moteur de la croissance mondiale[1].  La chute est de 33 % dans les petites entreprises et de 10 % dans les sociétés de plus de 1000 salariés, tandis que les entreprises publiques ont réduit de 20 % leur recrutement. On ne peut qu’imaginer combien de personnes ont perdu leur emploi. Contrairement à l’Union Européenne, aux USA et à ses propres mesures après la crise de 2008, la Chine n’a pas décidé de renflouer son économie avec un grand programme de dépenses : pas de trillion de yuans de relance cette fois-ci.

Pendant l’été 2020, le pays est victime de précipitations hors du commun battant tous les records depuis 1961. Environ 64 millions de personnes sont affectées et les coûts sont énormes : dix milliards d’euros. Après les images des gens enfermés chez eux au printemps, on découvre durant l’été des vidéos d’usagers du métro coincés sous l’eau. Les climatologues montreront que les mesures de confinement eurent pour effet de drastiquement réduire les émissions anthropogéniques des gaz à effet de serre et d’aérosols, ce qui à son tour aura eu un énorme impact sur la formation de nuages et de précipitations au-dessus du territoire chinois[2]. En deux mots, les mesures contre le covid furent si démesurées qu’elles changèrent la météo chinoise cette année-là : une catastrophe en appelle effectivement une autre.

Août de la même année : une gigantesque pool party est organisée dans une grande piscine publique de Wuhan, on y voit des milliers de personnes entassées sur des bouées gonflables jaunes, au son d’une techno gangnam style. La Chine peut-elle souffler, y a-t-on gagné la guerre contre la corona ? 

Le confinement du printemps 2022 à Shanghai semble répondre par la négative. Nouvelles mesures strictes, 22 millions de personnes confinées. La rhétorique guerrière continue de filer la métaphore : « Nous avons gagné la bataille pour défendre Wuhan et nous sommes certains d’être en mesure de gagner [celle] pour défendre Shanghai. » Dans certaines usines, les ouvriers sont eux aussi confinés par leurs employeurs, pour continuer à les faire travailler tout en respectant les consignes gouvernementales : encore une innovation qui, enfin, semble parfaitement concilier les impératifs économiques et sanitaires. Mais cette politique de zéro-covid est onéreuse : les confinements à répétition coûteraient au moins 46 milliards de dollars (ou 3,1 % du PIB) par mois à l’économie nationale. Les thermomètres ambulants et les haut-parleurs se sont installés pour de bon, mais ils ont été rejoints par des drones ; aux fenêtres de la ville, cette fois-ci on crie tout court, on crie : « à l’aide ! »

1.2. Guadeloupe : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé[3]. »

Contrastons cela avec une situation à la périphérie de l’accumulation (et de l’Europe) : la Guadeloupe. À un moment où l’on pouvait partout entendre l’injonction à se laver les mains, la Guadeloupe manquait d’eau. Lors des tous premiers prélèvements covid-19 sur l’archipel, en 2020, la cheffe du service infectiologie du centre hospitalier de la Basse-Terre amène des seaux d’eau aux infirmières, sans quoi ces dernières n’ont rien pour se laver les mains. Plus tard, durant la rentrée 2020-2021, 44 écoles ferment, de nouveau parce que l’eau est tout simplement coupée. Depuis plusieurs décennies, les dysfonctionnements dans la distribution de l’eau sont nombreux : vétusté des équipements, organisation anarchique de l’approvisionnement par diverses entreprises, endettement des communes – sans oublier la pollution liée aux cultures agro-exportatrices de bananes et de canne à sucre. L’Office de l’eau de la Guadeloupe constate depuis des années que les moyens alloués par l’État sont largement insuffisants pour faire face à ce problème fondamental[4]. 

En Guadeloupe, la marche vers la vaccination se heurte précisément à cela : la méfiance d’une grande partie de la population envers un État perçu comme défaillant, voire comme un oppresseur – notamment en ce qui concerne ses mesures touchant à l’intégrité du corps. L’affaire du chlordécone n’a pas été oubliée : alors que la toxicité de cet insecticide était connue depuis 1968, on l’utilisa en Guadeloupe et en Martinique jusqu’en 1993 – certains disent jusqu’en 2005 – provoquant ainsi l’empoisonnement durable des sols, des eaux et des habitantes de l’archipel. Plus d’un quart des terres arables de ces îles sont touchées et une étude conduite en 2018 estime que 90 % des adultes guadeloupéens sont contaminés par cet insecticide[5].

Le 14 novembre 2021, « l’état d’urgence sanitaire » et le couvre-feu mis en place contre l’épidémie de covid-19 sont levés en Guadeloupe. Cependant, cinq jours plus tard, un nouveau couvre-feu sécuritaire est imposé, cette fois pour éteindre la contestation de la politique sanitaire propulsée depuis la métropole. Démarrée en juillet 2021, la mobilisation contre la politique sanitaire prend de l’ampleur le 15 novembre de la même année, lorsqu’une grève générale est lancée par l’intersyndicale pour s’opposer à l’obligation vaccinale pour les pompiers et les soignants. Durant plusieurs semaines, en Guadeloupe et dans une moindre mesure en Martinique – où l’intersyndicale appelle au soulèvement populaire le 22 novembre, là aussi contre l’obligation vaccinale et plus généralement pour la justice sociale –, de solides barrages routiers et des barricades sont érigés, des voitures et des bâtiments incendiés, des pharmacies et des magasins pillés, les flics et les gendarmes pris pour cibles de jets de pierre et même de tirs à balles réelles. Particulièrement persistants, les barrages guadeloupéens ne sont levés que pour permettre le réapprovisionnement des magasins[6] : c’est dire à quel point, pour un temps, les manifestants avaient une influence sur la vie dans l’archipel.

De nombreux aspects du quotidien guadeloupéen ont été touchés par les émeutes – en particulier l’accès à l’hôpital, les barrages ne laissant passer que les ambulances. Alors qu’une soixantaine de personnes avaient déjà été interpellées et que certaines avaient dû passer en comparution immédiate, le ministre de l’Intérieur envoie le 22 novembre en Guadeloupe des membres des forces d’élite du GIGN et du Raid. Malgré cela, le 29 novembre au matin (heure métropolitaine), Radio Cocotier dénombre encore non moins de onze barrages routiers, d’ailleurs motivés en partie par la volonté de résister aux mesures de couvre-feu [7]. Ce n’est que durant la première semaine de décembre que les flics et les gendarmes parviennent, non sans difficultés, à démanteler ces constructions qui avaient considérablement limité, voire interrompu une partie de la circulation des individus et des propriétés. De grandes manifestations succèdent alors aux barrages, dans lesquelles convergent la contestation du passe sanitaire et/ou de la vaccination, d’une part, et des appels à la justice sociale, d’autre part. C’est notamment le cas à Pointe-à-Pitre le 4 décembre, lorsque des milliers de personnes défilent dans les rues, et à Capesterre-Belle-Eau, où un convoi de 500 personnes circule dans la ville. Ce n’est qu’à la mi-décembre que le niveau de conflictualité retombe quelque peu, sans que les négociations entre le ministre des outre-mer et l’intersyndicale entamées fin novembre n’aient abouti à un véritable accord.

À la mi-octobre 2022, le taux de couverture vaccinale à trois doses des personnes de plus 12 ans en Guadeloupe était de 26,70 % (contre 60 % pour l’ensemble du territoire)[8].

1.3. « Les Brésiliens sautent dans les égouts et il ne leur arrive rien[9]. »

Quid des cas où il n’y avait même pas de « mesures sanitaires » à contester ? Passons au Brésil. Le 26 février 2020, alors que des milliers de fêtardes sautent derrière des trios elétricos à Salvador, vibrent au son du frevo dans les rues d’Olinda ou chantent des marchinhas dans les bloquinhos répandus dans la ville de Rio, dans l’ambiance vaguement mélancolique du mercredi des Cendres, le premier cas de covid-19 est confirmé au Brésil. Il n’aura pas fallu longtemps pour que les cas suspects deviennent des cas confirmés et que les décès commencent à se multiplier, d’abord dans les grandes villes, notamment à São Paulo, puis partout ailleurs dans le pays. Face à la peur d’une maladie inconnue croît le sentiment que la vie – et le carnaval – ne sera plus jamais la même. Alors que Jair Bolsonaro, fier perroquet de Donald Trump et de Boris Johnson, minimise les dangers du nouveau coronavirus, les gouvernements de la Fédération tentent, à rebours du gouvernement national, de prendre des mesures de restriction de la circulation. À mesure que la pandémie prend de l’ampleur, le président-clown durcit son discours en défendant l’efficacité préventive de l’hydroxychloroquine pour le covid-19 et la nécessité de laisser libre cours à l’économie pour préserver l’emploi. S’il est vrai que ce discours a pu trouver un certain écho dans les premières manifestations anti-confinement du printemps, menées par une classe moyenne blanche paradant en voiture dans les artères des grandes villes, 73 % de la population se dit néanmoins favorable à un confinement temporaire pour éviter la propagation de la maladie[10].

Au grand agacement de Bolsonaro, les écoles, les bars, les restaurants et les maisons de fêtes ferment sur ordre des gouverneurs, alors que seule une infime partie de la population est en mesure de passer au numérique. L’opposition parvient, en quelques semaines, à imposer aux alliés de Bolsonaro au Congrès, alors sous pression des effets bien visibles de l’épidémie, l’approbation en fin mars d’une « aide d’urgence » de 600 reais (environ 100 euros) pour les personnes à bas revenus, au chômage ou exerçant un travail informel. Cet argent arrive au bon moment puisqu’il atténue partiellement les effets d’une économie qui ne s’est jamais vraiment remise de la crise des matières premières de 2014 et qui a déjà poussé un quart de la population sous le seuil de pauvreté [11]. Celui qui profite le plus de cette politique exceptionnelle est toutefois Bolsonaro lui-même. Dans la mesure où l’aide d’urgence est immédiatement associée à son gouvernement, on voit sa popularité grimper au plus haut niveau depuis le début de son mandat – surtout parmi les secteurs les plus pauvres[12]. Néanmoins, la mesure d’urgence de style keynésien ne manque de susciter le malaise au sein du gouvernement, en particulier au ministère de l’économie, dirigé par Paulo Guedes, un Chicago boy qui a promis à ses copains du secteur privé une vaste privatisation des actifs publics, ainsi que d’ambitieux allégements fiscaux[13]. 

Devant l’augmentation exponentielle des décès liés à des maladies respiratoires – l’absence de test ne permet que de présumer des cas de covid-19 – et l’effondrement des unités de soins intensifs, les États de la fédération cherchent à négocier avec les organismes internationaux et les gouvernements pour enrayer la catastrophe. Ainsi, en juillet 2020, São Paulo conclut un accord avec le laboratoire chinois Sinovac pour développer un vaccin contre le covid-19. Cependant, Bolsonaro, très occupé à vociférer des déclarations racistes et conspirationnistes sur le « vaccin chinois », refuse trois offres pour un vaccin qui résulterait du partenariat avec la Chine[14]. Un mois plus tard, Bolsonaro décline à nouveau l’offre de 70 millions de doses du vaccin américain-allemand Pfizer/BioNTech, confirmant ainsi que son social-darwinisme est sans frontière. À ce moment, le nombre officiel de morts approchait les 100 000, et 94 % de la population se disait favorable à un vaccin[15]. 

Par son inaction totale, le gouvernement fédéral scinde de facto la population entre celles et ceux dont le droit à la vie est en partie protégé par la possibilité matérielle du télétravail et celles et ceux qu’il préférait laisser mourir en les condamnant à s’exposer au virus qui circule librement. L’explosion des applications de livraison au cours de cette période illustre ce contraste[16] : entre 2020 et 2021, les grandes entreprises comptent une augmentation de 300 %, voire de 500 %, des travailleuses inscrites sur les plateformes ; environ 20 % de la population active dépend des applications de livraison pour son revenu[17]. Que ce soit la seule alternative pour des milliers de personnes dans le contexte d’une longue récession n’a pas empêché une partie de ces prolétaires de déclencher une série de grèves auto-organisées à partir de 2020. Le « breque » des applications a mis en évidence, d’une part, la division réelle entre les différents secteurs sociaux dans le contexte de la pandémie qui se manifestait dans le degré d’exposition de chacun et chacune à la contagion et, d’autre part, le fait inéluctable que la pandémie n’a fait qu’accélérer le déclassement déjà en cours.

2. La séparation du sanitaire, du politique et de l’économique

2.1. Des chemins tout tracés

On le voit : les lieux de la pandémie ne sont pas simplement des endroits différents, mais plus fondamentalement des conditions d’existence qui varient en fonction de l’articulation des facteurs économique, écosocial et politique. Or, la tentation de la part de la plupart des acteurs de la crise du covid et de ses interprètes a été de morceler un phénomène social total qui aurait pourtant requis une analyse globale. En cherchant la raison ou le prisme de lecture d’une pandémie qui se propageait, à une vitesse auparavant inimaginable, à la planète entière, elle-même divisée et administrée en États-nations interdépendants au niveau d’énormes chaînes de production et de circulation, on n’aura pas reconnu la nécessité de complexifier notre approche théorique face à un évènement dont les causes en amont et les conséquences en aval sont tentaculaires et multiples.

Ce n’est pas seulement d’une analyse purement théorique qu’il nous aura manqué, mais surtout d’une échelle d’analyse plus large, au niveau d’une expérience d’emblée mondiale, dont le sens s’éclate et se diffracte en des millions de situations et de perspectives vécues. La pandémie de covid-19 fut certes un évènement historique important, mais l’attention monomaniaque qui lui a été vouée pendant deux ans eut pour effet de refouler toutes les autres crises qui la précédaient, ou qui lui étaient contemporaines, ainsi que celles qui ont été provoquées par le confinement massif de plus d’un tiers de la planète. Bref, elle a trop souvent été considérée hors de son contexte conjointement économique, politique et sanitaire comme un pur événement déroutant. 

Dans le flot continuel du spectacle médiatique, la pandémie fut avant tout représentée comme une « crise sanitaire » dont les dimensions écologiques, sociales, politiques et économiques ne furent analysées que de manière tout à fait secondaire. Il s’agissait donc de se rendre compte de la gravité du virus, d’inviter les gens à respecter les consignes sanitaires, de soutenir moralement le personnel médical et enfin de se montrer surpris face à l’incohérence des mesures prophylactiques d’État. La question des conséquences économiques n’a souvent été traitée que superficiellement comme un problème de « mise en danger des économies » , de « coup dur pour les entreprises » , de frein à la croissance ou alors sur le mode de l’étonnement face aux plans de relance et aux cadeaux fiscaux dégagés par les États et les banques centrales. Les rapports économiques eux-mêmes n’ont donc souvent été considérés, de manière assez ironique, qu’à l’aune de métaphores médico-politiques de « santé » des marchés ou d’entrepreneurs « respirant » enfin face aux contraintes étatico-publiques. D’autres au contraire n’ont su voir la pandémie que comme le symptôme d’enjeux et de problèmes proprement politiques. Ceux qui ne jurent qu’en son nom n’auront pas raté l’occasion de s’affliger de l’absence d’une souveraineté nationale et donc de souligner la nécessité de reprendre le contrôle politique de la crise à l’intérieur des frontières. Mais il aura aussi souvent été question de comparer des formes de gouvernance et d’États, en se demandant abstraitement lequel, entre un modèle plus libéral-permissif comme la Suède ou les USA ou un modèle plus planificateur-autoritaire comme la Chine, était le plus adapté face à une telle crise. 

Si l’on a l’habitude de voir acteurs étatiques, politiciens, idéologues et médias arbitrairement découper le réel, fabriquer des narrations simplistes et s’adonner à l’hypostase sans nuance – par bêtise ou par opportunisme politique –, il a été plus décevant de voir de nombreux camarades épouser ces formes de pensée et construire des explications, voire des revendications, tout aussi unidimensionnelles. Le manque d’exigence théorique et un certain degré de sociocentrisme sont marquants, trahissant à quel point ce ne sont pas seulement les réseaux de solidarité et d’organisation qui ont disparu avec la fin de l’internationalisme ouvrier, mais aussi une aptitude à échanger des expériences et des informations permettant de comprendre les situations sociales et historiques au-delà du périmètre national. Cependant, indépendamment du nombrilisme manifeste et du provincialisme complaisant, c’est aussi une lecture en termes de rapports sociaux de classe qui aura été absente – sans surprise – des analyses politico-médiatiques dominantes et – de manière plus surprenante – des perspectives d’une certaine gauche radicale.

2.2. Le fétiche conspirationniste de la « gouvernance »

En France, on a bien sûr été de plus en plus habitués à une gouvernance par l’urgence – les annonces anxiogènes sur les « comportements et colis suspects » dans le métro ont été remplacées par les injonctions à « garder une distanciation sociale » et à « porter le masque à tout moment ». On n’aura pas attendu 2020 pour que la rhétorique de l’urgence soit clairement investie politiquement à la fois par les petits chefs de file de nombreux groupuscules politiques et par le discours d’État. Dans le cas de ce dernier, on voit bien comment politiciens et idéologues médiatiques de la classe dominante mobilisent l’urgence à la fois pour reprendre la main, se relégitimer, maintenir l’ordre et effrayer les populations, mais aussi comme moyen quasi publicitaire pour faire oublier la pléthore d’autres urgences et catastrophes en cours. Les dimensions concrètes et violentes de celles-ci n’empêchent pas qu’elles s’évanouissent imperceptiblement dans la cacophonie constante. Mais les catastrophes ne sont pas seulement et avant tout instrumentales ; elles ne sont pas de simples prétextes pour les objectifs plus « profonds » de l’État. D’aucuns, d’après leurs lectures de Foucault, d’Agamben ou de divers appelistes, n’ont ainsi considéré la pandémie que sous le prisme de ses dimensions politiques, prenant trop souvent les mesures gouvernementales auxquelles ils étaient immédiatement confrontés comme paradigme pour comprendre l’État et la pandémie. Contre ceux qui ne parlaient que de « crise sanitaire », il n’a été question, dans ces textes, que de l’autoritarisme de l’État, des pouvoirs grandissants de celui-ci, de « biopolitique » et d’instrumentalisation, voire de création d’une crise à des fins de captation de pouvoir. Sans surprise, les causes écosociales de la pandémie auront quant à elles suscité un intérêt bien moindre. On tenait pourtant pour acquis que la théorie n’est pas qu’une phénoménologie de nos expériences vécues ou fantasmées.

Certaines de ces lectures anti-biopolitiques ont minimisé, voire nié, la gravité de la pandémie, ne voyant en elle qu’une raison d’État irrépressible qui poursuivait la logique politique d’intensification de la répression, du fichage et du flicage[18]. D’autres sont même allés plus loin en validant de façon très simpliste le scénario, désormais classique, selon lequel il y aurait, derrière chaque grand évènement historique, une intentionnalité qui conspire. C’est la conspiration qui permettrait de comprendre les « vraies raisons » de la crise, des confinements, des injonctions contradictoires et des frontières fermées. Surtout, la conspiration serait à l’origine de la rationalité d’une pandémie qui n’est conçue que comme manœuvre contre-révolutionnaire face à l’intensification de la révolte [19]. Pour une telle position, souvent bêtement provocatrice, la pandémie aurait permis aux gouvernants d’étouffer les révoltes, de faire taire les mécontentements et d’expérimenter de nouveaux outils de surveillance et de maintien de l’ordre dans la continuité de ce qui se faisait déjà pendant la guerre froide et qui n’a fait que s’intensifier depuis le 11 septembre 2001 en Occident et ailleurs.

Une telle analyse semble beaucoup accorder à l’État, et notamment lui attribuer  une bien trop grande capacité d’organisation et de coordination. Mais elle exagère aussi la menace qu’auraient constitué les mouvements de 2018 et 2019[20]. Il est concevable que la pandémie ait été, dans un second moment, l’occasion pour les États de reprendre l’initiative face aux contestations et d’expérimenter une nouvelle gestion massive des populations en temps de crise. Oui, il est évident que les États emploient des experts pour imaginer des scénarios et des stratégies face aux potentielles crises militaires, sanitaires, économiques : on pense par exemple au rôle joué par le cabinet de conseil McKinsey auprès du gouvernement français. Mais c’est seulement dans un second temps que ce renforcement de l’autorité étatique a été mis au service du maintien de l’ordre dans certaines aires géographiques, car la pandémie a aussi déstabilisé les appareils d’État et le fonctionnement des gouvernements en mettant à l’épreuve leur prétention à gérer efficacement des crises [21]. Les gouvernants de ces États se sont retrouvés, presque tous et pendant une assez longue période, à se regarder les uns les autres comme des collégiens effrayés par le risque d’échouer face à leur opinion publique, et prêts à copier les mêmes âneries d’un pays à l’autre. Ce n’est qu’en projetant une narration a posteriori que l’on peut imaginer produire une séquence linéaire qui irait des soulèvements jusqu’à la conspiration contre-révolutionnaire des puissances gouvernementales, et ce n’est qu’en faisant preuve de beaucoup de fantaisie que l’on peut déceler un degré d’organisation et de planification dans l’État si élevé que celui-ci pourrait ainsi faire face à une autre urgence – sorte de sous-texte d’une gravité bien supérieure à la pandémie – qui serait celle de l’insurrection mondiale qui vient (ou qui est déjà venue, on ne sait plus)[21]. Qu’il n’y ait, de toute façon, aucun sens à traiter d’une sorte de gouvernance globale de la pandémie, c’est ce que révèle déjà le cas des post-colonies françaises – et notamment la Guadeloupe – qui, bien avant la métropole, servirent de cobayes pour les couvre-feux « sanitaires ». En France, la temporalité et la géographie du couvre-feu durant la pandémie s’inscrivent en effet dans l’histoire coloniale du couvre-feu en tant que tel, d’abord expérimenté par Maurice Papon en 1961 pour mater les révoltes de travailleurs immigrés pendant et après la révolution algérienne, afin de devenir un outil de contrôle des « classes dangereuses » aux mains des préfets ou des maires[22].

Les lectures conspirationnistes signent donc l’impossibilité de penser autre chose que ce qu’elle veulent penser : une pandémie mondiale déclenchée par un accident de laboratoire à l’Institut de virologie de Wuhan (une sorte de Tchernobyl épidémique)[23], ou plus probablement par une transmission inter-espèces du coronavirus favorisée par la destruction des forêts tropicales et la chasse aux animaux sauvages, et donc par une augmentation des interactions des humains ou des animaux domestiques avec des espèces sauvages porteuses de virus [24]. Ces lectures, pourtant parfois enclines à reconnaître la catastrophe écologique en cours, semblent en revanche incapables de considérer que la pandémie s’inscrit précisément dans ce cadre plus vaste de dérèglements et de déséquilibres sociaux-naturels. La perturbation du métabolisme social entre les êtres humains et les écosystèmes (déforestation, érosion de la biodiversité, élevages intensifs incubateurs de virus, etc.) provoque des événements inédits auxquels l’État ne peut répondre qu’en s’attaquant aux symptômes, et jamais aux causes. Même si l’on considère le covid-19 comme un symptôme d’une maladie plus profonde, elle n’en reste pas moins une maladie bien réelle, aux effets dévastateurs, qui n’a rien d’une simple fiction inventée pour mieux nous soumettre.

2.3. La biopolitique réellement existante

Si les critiques françaises de la « dictature sanitaire » se sont concentrées sur leur État-nation, c’est l’État chinois qui incarne le « biopouvoir » par excellence. Certes, l’État chinois semble avoir poussé plus loin que tout autre État les mesures sanitaires contraignantes et ses prétentions biopolitiques à faire vivre et ne pas laisser mourir sa population, et ce au détriment de son économie. Il le semble, car l’affaire est en réalité plus compliquée. Comme l’explique le collectif Chuang dans Contagion sociale, les autorités chinoises locales et nationales ont d’abord minimisé l’ampleur de l’épidémie, comme elles l’avaient fait lors des épidémies précédentes (par exemple lors de l’émergence du H5N1 dans la région de Guandong). Ceci n’a fait qu’accélérer la propagation du virus. En fait, ce sont avant tout des volontaires qui, s’en remettant à eux-mêmes plutôt qu’à des autorités mensongères et à un système médical en détresse, ont permis de contenir l’explosion épidémique initiale à Wuhan[25]. Ce n’est que dans un second temps, après avoir longuement tergiversé pour des raisons politiques et économiques, que l’État chinois décréta un confinement strict à Wuhan deux jours avant le début officiel du Nouvel An chinois, période où, de toute façon, l’activité économique ralentit significativement.

Si l’État chinois a pu profiter de l’épidémie pour renforcer son appareil de surveillance – encore technologiquement à la traîne par rapport au niveau atteint aux États-Unis –, on ne peut réduire sa politique sanitaire à cette seule dimension sécuritaire. Certes, les dispositifs technologiques introduits par l’État chinois pour maîtriser l’épidémie ont pu être utilisés à des fins répressives[26]. Leur utilisation était, de plus, particulièrement peu légitime en vertu de l’auto-discipline sanitaire d’une grande majorité de la population chinoise, habituée comme elle l’est aux épidémies et à l’incurie du système médical et des autorités locales et nationales. Le recours à ces moyens semble aussi plus durable qu’en France, où l’abandon du passe sanitaire suggère que celui-ci n’avait pas pour but d’instaurer une « dictature sanitaire » . En France, le passe visait plutôt à concilier avec un dispositif techno-sécuritaire des impératifs économiques et sanitaires en autorisant les consommateurs présentant moins de risques d’être porteurs du virus à circuler dans l’espace public marchand[27]. Néanmoins, ces dispositifs technologiques de contrôle, en Chine comme en France, n’ont été introduits ni en vertu d’un plan machiavélique, ni ex nihilo, mais en parfaite continuité avec les politiques techno-sécuritaires de ces dernières décennies. La gestion de l’épidémie en Chine rappelle ainsi que, d’une part, les États contemporains peuvent se référer à n’importe quel « risque » – qu’il s’agisse du terrorisme islamiste, de la délinquance, etc. – pour renforcer et légitimer leurs appareils de surveillance, mais que d’autre part, ils voient sincèrement tous ces « risques » sous un angle sécuritaire afin de les traiter par des moyens techniques et policiers. La gestion de l’épidémie ne fait pas exception.

Les détracteurs du « biopouvoir », d’autre part, oublient que l’objectif de toute biopolitique est, dixit Foucault, « d’assurer, de soutenir, de renforcer, de multiplier la vie et de la mettre en ordre » de veiller à « l’insertion contrôlée des corps dans la l’appareil production [28]». Les fins économiques à long terme sont toujours à l’horizon puisqu’il n’est jamais question d’une disciplinarisation des corps à des fins seulement politiques. Ainsi, la stratégie du zéro covid en Chine, par exemple, ne saurait être comprise uniquement du point de vue de ses objectifs supposément extra-sanitaires, qu’ils soient disciplinaires ou politiques. 

Ainsi, l’obsession d’un État Léviathan, qui pécherait par excès de politique sanitaire, n’est parfois que le pendant d’un nombrilisme français qui ne sait rien ou ne veut rien savoir d’une gestion encore plus cynique de la crise, là où les tentatives de diminuer la mortalité réelle n’auront même pas été amorcées. Que dire en effet de gouvernements comme celui du Brésil, du Pérou ou des États-Unis dont la politique de laisser-faire face à la pandémie ne colle absolument pas au schéma de l’emballement autoritaire, ni à celui d’une biopolitique étatique scientiste et totalitaire ? Les gestions étatiques de la pandémie ne furent nullement homogènes, et encore moins coordonnées ou concertées. Les divergences entre les différents échelons d’États fédéraux tels qu’au Brésil d’une part – où le gouvernement central a essayé de réduire les mesures prises à un échelon régional – et l’Allemagne d’autre part – où ce sont les gouvernements des Länder qui ont cherché à limiter les règles promues à l’échelle nationale – illustrent les tensions au sein même des États. Du reste, les conflits internes aux diverses fractions de classe de la bourgeoisie n’ont cessé de déborder l’État, rendant toute gestion technocratique globale impossible et laissant place à une longue séquence d’improvisations souvent catastrophiques.

2.4. La morale virologique

Aux antipodes des lectures conspirationnistes, d’autres camarades de la gauche extra-parlementaire semblent avoir pris très au sérieux la menace que constituait la pandémie. Là où la gauche radicale était davantage organisée dans ses espaces de vie commune (squats, grandes colocations, Hausprojekte, locaux autogérés), elle a été plus rapidement contrainte de discuter collectivement des modalités éthiques et pratiques de la cohabitation, à un moment où la vie et la santé de certains étaient précisément mises en danger. Dans l’autonomie allemande notamment, certains milieux se sont efforcés de mettre à l’abri les plus vulnérables, ne manquant pas de surenchérir sur certaines mesures sanitaires – celles de l’État étant, souvent à juste titre, jugées laxistes ou incohérentes – afin de ne pas exposer ces personnes au moindre risque. Dès le début de la pandémie, quelques camarades ont essayé de mettre en place des réseaux d’information et de solidarité[29] afin de soutenir ceux et celles que le premier confinement avait isolés, appauvris ou tout simplement oubliés. Néanmoins, bien qu’il y eut parfois des discussions théoriques et politiques plus nuancées et informées dans l’autonomie germanophone, au-delà de ces groupes minoritaires, une grande partie de l’extrême-gauche a littéralement omi les dimensions politique, économique et écologique de la pandémie pour se concentrer uniquement sur ses implications sanitaires et morales. Malheureusement, ces positions-là, plus pratiques que théoriques, ont tant dépolitisé l’évènement covid-19 qu’elles se sont trop souvent transformées en mégaphone des politiques publiques et des mots d’ordre de leur État. 

Bien entendu, les efforts de ces milieux allemands sont déterminés par des conditions distinctes de celles qui ont prévalu en France. Du fait de la structure différente de l’État allemand, des mesures régaliennes comme celles que l’on a connues en France n’y étaient tout simplement pas possibles. En outre, là où en France, le confinement a mis une fin brutale à une séquence dense du point de vue de la lutte des classes – gilets jaunes, grèves contre la réforme des retraites, etc. –, on ne pouvait certainement pas en dire autant de l’Allemagne. Mais c’est peut-être aussi précisément le fait que cette gauche allemande n’a plus, depuis longtemps, fait l’expérience de mouvements sociaux d’envergure ou d’émeutes importantes que les tendances politiques qui en émanent ne reposent plus sur des bases matérialistes mais souvent seulement sur des considérations morales. Enfin, l’intégration de la gauche extra-parlementaire à la société civile et aux appareils d’État est aujourd’hui avancée : des subventions fédérales ou européennes visant à soutenir les initiatives antifascistes en les ralliant à des mots d’ordre pro-démocratie aura achevé de juguler son positionnement critique vis-à-vis de l’État.

Si, d’un côté, de telles positions ont souvent été plus louables et plus justes que leur contrepartie libertarienne, notamment car elles n’ont pas péché par cynisme par rapport à la vie des gens (« La biopolitique, c’est la tyrannie de la faiblesse[30] »), d’un autre côté elles en sont restées au niveau de la « responsabilité » des acteurs individuels et collectifs. Cette gauche-là a donc fait d’une situation sanitaire mondiale, dont les enjeux étaient multiples et surtout internationaux, une question avant tout morale de rapports interindividuels. Mais cette focalisation exclusive sur la protection des plus vulnérables face à l’épidémie a aussi entraîné un aveuglement face aux besoins (non-contradictoires) des plus vulnérables économiquement et psychiquement et qui ne pouvait peut-être pas s’astreindre aux règles, parfois tout à fait désincarnées, de « safe spaces » sanitaires. Le rigorisme sanitaire n’aura que trop souvent contribué à entériner une atomisation sociale et la méfiance psychologique grandissante vis-à-vis de « ce qui ne vient pas de chez moi ». À entendre les expériences vécues de certains camarades, la solidarité politique – qui sait et doit savoir faire des exceptions face aux difficultés collectives, matérielles, psychologiques de groupes sociaux différenciés – s’est transformée en loi morale intransigeante face à tout pas de côté. On a entendu de nombreuses anecdotes de camarades empêchés de monter dans les appartements de leurs amies pour des raisons aussi triviales que le besoin de pisser, ou étant embarqués dans des querelles interminables entre colocataires pour avoir spontanément invité et aidé des potes à des moments plus urgents de leur vie. Les refus et les remontrances ont souvent été catégoriques, sans marge de négociation ou d’intelligence de la situation. Une telle hypostase de « l’évènement covid » est peut-être tout simplement la dernière version du moralisme dont sont trop souvent emprunts les discours et les pratiques de la gauche outre-rhin. 

La morale virologique – qui a d’ailleurs été suivie, en Allemagne, par la morale pro-armes pour la défense de l’Ukraine – a enfanté une litanie de « ou bien… ou bien », dont on peut se demander si elle ne produisait pas tout simplement ses propres hommes de paille pour être sûre d’avoir toujours raison. Soit on acquiesçait au danger sanitaire, à la nécessité des mesures imposées par le haut, et aux données scientifiques incontestables, soit on devait nécessairement nier l’existence du virus, côtoyer les « querdenker » (« confusionnistes »), ou donner raison aux antivax – et donc, par là, se rendre complice de l’extrême-droite. Toute contestation des politiques étatiques et de la gestion marchande (pharmaceutique) du covid-19, ainsi que de la dramaturgie médiatique autour de l’évènement, signifiaient automatiquement une remise en question du covid-19 et de ses dangers. Indexés sur le discours dominant, certains pans de l’autonomie ont complètement manqué le problème de la mystification sociale induite par l’intensification de la production idéologique par l'État et les médias que celui-ci légitime. À l’opposé de ceux qui se délectent dans la conspiration, ici, la doxa assimile toute position critique, face à la recherche scientifique, à l’industrie pharmaceutique et aux mesures sanitaires, à un complotisme en puissance. Un tel bouclage des positions paralyse toute possibilité de remise en question, et aplatit la complexité du phénomène, mais il trahit peut-être aussi la position de classe de ceux qui s’installent dans la morale. Il est possible que le relatif confort matériel des radicaux allemands et la marginalité des formes de vie alternatives (Freiräume, Lebensformen et Lifestylepolitik) dans laquelle ils se sont reclus depuis quelques décennies ait non seulement renforcé cette conception morale des problèmes sociaux mais ait aussi renforcé une compréhension tout à fait partielle et déconnecté de ce qu’endurent la plupart des travailleurs, des migrantes et des familles en pleine pandémie mondiale. Ironiquement et à l’insu de ses acteurs, on voit peu à peu se construire une sorte de solidarité exclusive, limitée aux proches et à la communauté immédiate, qui se double d’un sentiment de supériorité morale ; tout cela en s’adaptant pleinement aux règles imposées arbitrairement sur le moment par les instances de l’État. 

Quand la pandémie a été politisée par la gauche allemande parlementaire, cela a été fait de manière souvent très abstraite, ainsi que le montrent les débats autour de la politique du « zéro-covid ». Malgré la polémique[31], l’idée d’une politique zéro covid s’est imposée dans de nombreux pans de la gauche allemande, appelant à des confinements encore plus stricts impliquant, si elle était menée à bout avec cohérence et systématicité – ce qui est probablement impossible –, une fermeture à long terme de toutes les frontières (ou, pour die Linke, des frontières européennes), et une fermeture à moyen terme de tous les secteurs importants de l’économie. Mais une telle politique aurait aussi exigé d’introduire des outils de surveillance et des moyens de traçage et de contrôle encore plus dangereux que ceux qui existent déjà. Comme l’a souligné Karl Heinz Roth, de telles revendications politiques étaient non seulement eurocentriques mais comportaient aussi des éléments dignes de la gauche autoritaire la plus traditionnelle, révérencieuse des mesures sanitaires les plus liberticides de l’État chinois[32]. 

2.5. Raison d’État, liberté et atomisation sociale

La contestation de la politique sanitaire existante vit donc sur le fil du rasoir. Face à aux raisonnements souvent dérisoires des antivax ou des « convois de la liberté » , certains ont cru bon d’appeler les gens à accepter la « réalité » de la pandémie. Or, à quoi ces réalistes nous ramènent-t-ils, si ce n’est à la raison d’État, c’est-à-dire à la nécessité de mesures préventives pour continuer de mener une « existence collective », même dégradée ? Selon une logique inverse, d’autres se sont tellement focalisés sur les restrictions qu’ils en sont venus à oblitérer la réalité de la pandémie. Ces sceptiques fétichisent la « gouvernance » en tant que telle, éludant le fait que les mesures de restriction sont, malgré tout, des moyens de faire face à cette pandémie – et en l’occurrence les seuls moyens à notre disposition. De nombreux commentateurs ont en effet appelé à une « autre » prise en charge collective de la pandémie, mais il n’y en a pas eu et il n’y en a toujours pas. Seuls l’État et le capital ont fait ce travail, et ce non pas « à notre place », mais parce que nos rapports de soin à grande échelle sont médiatisés par eux.

Les réalistes ont le mérite d’avoir saisi que le covid-19, loin d’être un virus létal uniquement pour les personnes les plus âgées et immuno-déprimées, doit être compris également dans ses effets de santé sur le long terme – tout sauf négligeables et encore peu explorés – ainsi que dans ses effets collatéraux – des hôpitaux remplis de personnes souffrant du covid-19 étant des hôpitaux qui, dans une certaine mesure, ne peuvent pas soigner les gens souffrant d’autres maladies[33]. Après des mois de confinement, parfois assortis de couvre-feu, peut-on pour autant balayer les appels à la « liberté » d’un revers de la main ? L’irrationalité de ces appels, souvent fondés sur des lectures conspirationnistes de la pandémie, reflète en un sens l’irrationalité d’une société structurée autour de la séparation entre le politique et l’économique. Dans cette société, la politique sanitaire de l’État s’est apparentée, dans certains pays – le plus souvent précisément ces pays qui ont connu les plus grandes contestations de la politique vaccinale et de la gestion de la pandémie –, à une vaste expérimentation sociale, au sens où les gouvernements allaient toujours plus loin dans la logique consistant à restreindre au maximum la vie sociale non directement marchande tout en laissant faire, le plus possible, la production, la circulation et le travail dont celle-ci dépend.

Si, en suivant un phrasé abstrait, certains ont pu penser que toute vitalité fut épuisée au nom de la conservation de la vie, il n’en est pas moins vrai que la réduction quasi-totale de notre temps aux activités directement liées au travail salarié et au travail de reproduction domestique aura achevé, de manière autoritaire, de fonctionnaliser des existences déjà violemment intégrées dans des processus de valorisation de la valeur. Dans certains lieux et pendant certaines périodes, toute expérience sociale – retrouver des amis au bar, regarder un film au cinéma, se balader sans objectif précis, faire des rencontres sexuelles ou faire la fête dans un club – susceptible de rendre supportable le fait d’être dominé par le travail mort aura été interdite. Difficile de réduire les personnes qui se sont lamentées de la perte de leur liberté à des individualistes ayant perdu toutes les vertus de la solidarité collective.

Certes, nombre d’appels à la « liberté » auront paru illusoires, abstraits, niais. Ils n’auront pas débouché sur une organisation collective durable ; ils auront été confus et auront fait converger de biens mauvaises fréquentations. Mais ils auront aussi été à la fois le symptôme d’un long processus de dépolitisation et, surtout, l’écho de l’absence générale de toute liberté au sens d’une capacité à déterminer nos propres conditions de vie – absence manifeste aussi bien avant que pendant la pandémie. En adoptant une autre perspective, cette revendication de « liberté » trahit donc aussi le fantastique pouvoir d’attraction, la production monumentale de jouissance et de désir, qu’a su engendrer le capital et qui s’est vu contraint l’espace d’un instant. De manière générale, les confinements n’auront pas marqué un moment de réflexion et d’organisation contestatrice, mais une longue phase de regret quant à la perte des « libertés » précisément permises, jusqu’à maintenant, par ce mode de production. Certains camarades[34] n’auront vu dans ces manifestations et appels à la liberté que le symptôme d’une fausse conscience, d’une liberté seulement individuelle qui masquerait le fait que l’individu n’est qu’un rouage dans la reproduction d’une totalité qui le dépasse. Opposer de cette manière la « liberté individuelle » et la « liberté collective » c’est oublier la médiation de la société dans la relation à soi : à tous les niveaux, même celui du corps, les individus font précisément société par la négation répétée de leur singularité. De plus, selon ce schéma de pensée, l’individu des sociétés capitalistes n’aurait aucune liberté positive à défendre ou à affirmer, le « désir de liberté » n’étant que la comorbidité d’une individualité mutilée[35]. Et si l’on peut certes dire que l’individu a été atomisé, qu’il ne jouit pas (encore) de la « liberté » telle que la conçoivent certains communistes – dont la normativité inhérente implique le dépassement du règne de la nécessité compris comme contrainte au surtravail –, nombre de ces individus ont tout de même appris à jouir des (moindres) libertés que leur offre le mode de production capitaliste. C’est comme si certains marxistes avaient oublié la positivité, certes abstraite et spectaculaire, qui permet aussi la reproduction de cette société. Oui, ces appels étaient parfois tout bonnement une revendication d’un retour à la « normale » jugée désirable par beaucoup de gens car relevant d’une capacité à librement acheter et se divertir. L’immense majorité de nos activités et de nos expériences sociales, de nos interactions et de nos besoins sont directement médiatisés par la valeur et donc par la consommation de marchandises : ils n’en furent pas moins vécus comme des libertés effectives, subitement interdites par l’État. 

En évoquant la « seule liberté digne de ce nom » (collective, post-capitaliste, etc.) les marxistes doivent peut-être reconnaître le caractère particulièrement normatif mais aussi abstrait de leur critique : tant que les individus ne connaîtront pas les conditions dites « communistes » , leurs appels à liberté, dans une société qui tend de plus en plus à la répression, ne peuvent tout bonnement être jugé faux. 

3. Diagnostics

3.1. « Une » pan-« démie » ?

Si la pandémie n’est ni un simple prétexte pour la répression étatique, ni une réalité inscrite dans le marbre virologique, de quoi s’agit-il ? Cette question amène d’abord celle de savoir dans quelle mesure « nous » avons réellement affaire, avec la pandémie du covid-19, à un évènement « mondial ».

Certes, un virus ravageur s’est propagé aux quatre coins du globe. Pour autant, cette pandémie n’a pas été univoque : les conditions n’étaient pas et ne sont toujours pas réunies pour qu’un sujet unifié – le demos de la pan-démie – fasse l’expérience unidimensionnelle d’un mal qui nuirait uniformément au monde entier.

Si le covid-19 est certainement universel en tant qu’il peut potentiellement infecter tout être humain, cette dimension générique, si elle est prise pour elle-même, occulte la différenciation effective de l’humanité du point de vue des nuisances du virus. Non seulement l’exposition à ces nuisances varie-t-elle en fonction des populations considérées, mais le degré de tolérance à ces nuisances et les pouvoirs de défense immunitaire contre celles-ci sont fortement inégales. Le cas du chlordécone en Guadeloupe ressurgit ici : dans le traitement défavorable des populations dites « ultramarines » de ces sociétés post-esclavagistes, il est difficile de ne pas voir une forme de « racisme environnemental » et sanitaire. Non seulement le chlordécone est-il à l’origine d’une hausse du risque pour les cancers de la prostate et les naissances prématurées, mais il nuit aussi au développement mental et physique des enfants. Compte tenu de cette dégradation structurelle de leur milieu de vie, on peut comprendre que, pour certains habitants de l’archipel, le covid-19 ait une importance ou une gravité toute relative.

De même, dans certaines aires géographiques sud-américaines, africaines ou asiatiques, l’importance soudainement accordée au covid-19 au début de la pandémie pouvait sembler abstraite à côté de la persistante d’autres maladies endémiques et de la détérioration des environnements. L’émergence d’un nouveau coronavirus ne comportait pas la même signification pour des populations encore massivement confrontées à la tuberculose, à la malaria et au Sida. Dans certaines régions, certains se demandèrent même si les premiers signes d’une fièvre n’étaient pas liés à la dengue ou la malaria plutôt qu’au covid-19. De fait, l’expérience face au risque et au danger ne pouvait pas être la même pour les habitants des espaces déjà hautement assainis de certaines villes asiatiques, européennes et américaines, et ceux des grandes métropoles du Sud. Le covid-19 n’est qu’un malheur parmi d’autres pour une population brésilienne dont le quart ne dispose pas d’eau potable, et la moitié n’a même pas accès à la collecte des eaux usées. 

Par conséquent, on peut dire que la pandémie du covid-19 est venue aggraver des situations sanitaires déjà catastrophiques – dans certains territoires, les conditions écosociales produisent de facto de la comorbidité. Pourtant, la surfocalisation sur la surmortalité et les dangers causés par le covid-19 par les gouvernements de pays où la situation sanitaire était déjà exemptée de certaines autres maladies endémiques et où l’espérance de vie était relativement plus élevée, s’est répandue, sans distinction, à de nombreux autres contextes sociaux et sanitaires. La fermeture des cliniques, la disruption de services de santé déjà précaires[36], le désinvestissement financier et l’interruption de nombreux programmes de développement sanitaire, causés par une mobilisation généralisée autour de la pandémie, ont eu pour effet de confronter de nombreuses populations à un accès plus difficile, voire impossible, aux services médicaux de préventions et de soins[37]. Pour ne citer que quelques exemples : 1) le nombre de cas et de décès causés par la malaria a augmenté pendant les années de pandémie[38] ; 2) l’utilisation et l’accès à des moyens de contraception a chuté alors qu’a augmenté le nombre de complications obstétricales graves[39] ; 3) le nombre d’enfants vaccinés contre la polio, le tétanos et la rougeole[40] n’a cessé de baisser mondialement depuis trois ans. Si certains États – tels que l’Inde en 2020, puis de nouveau en 2021 – se sont laissé déborder par la pandémie, à l’inverse, des politiques exagérément centrées sur celle-ci auront également contribuer à engendrer des problèmes dont il n’aura guère été question. 

Cette inégalité sanitaire et transnationale face à la pandémie persiste encore aujourd’hui. Si certaines nations et leurs industries se sont lancées dans la course au vaccin et à son brevetage, les États des pays du centre capitaliste, dans leur gestion étroitement nationale de la pandémie, ont continué à faire comme si le virus s’arrêtait aux frontières sans jamais répondre aux appels de la WHO pour une politique mondiale de vaccination. En ce qui concerne la vaccination, Biden a donc suivi à la lettre le mot d’ordre de "America first" introduit par Trump. Après avoir piètrement tergiversé sur la question des droits de propriété intellectuelle, aucun État n’aura contraint ses industriels à lever des brevets sur les vaccins. Par conséquent, dans les pays les plus riches, des programmes de vaccination à échelle industrielle ont été exécutés parallèlement à l’absence chronique de vaccins pour une grande partie du monde, sans réel souci de cohérence ou d’efficacité sur le long terme. On peut d’ailleurs en conclure que l’inviolabilité du droit de propriété ainsi que les profits des certaines entreprises monopolistiques (pharmaceutiques) ont eu préséance sur l’équilibre global de l’accumulation capitaliste. Aujourd’hui, quels pays peuvent se projeter dans un avenir « post-covid-19 », si ce n’est ceux du Nord bénéficiant d’une couverture vaccinale suffisante pour endiguer les pires conséquences de la pandémie, et d’un système hospitalier dont le niveau de démantèlement n’empêche pas, pour l’instant, la prise en charge des malades d’aujourd’hui et de demain ?

Mais la focalisation étatique et médiatique de la gestion de la pandémie sur les échelles nationales occidentales eu un autre effet ravageur trop souvent oublié : la dévastation socio-économique qui a frappé de plein fouet les pays du Sud global, où une grande partie de la population vit du travail informel, lequel dépend en même temps de la bonne marche du marché mondial. Sans oublier les prolétaires sans papiers, notamment en Europe et aux US, souvent employés au noir, et qui contrairement à leur petit patron n’auront jamais vu la couleur du « quoi qu’il en coûte ». Il s’agit des effets que provoque l’interruption des chaînes d’interdépendance économique. Les confinements de certaines parties de la population couplés à une gestion nationale de l’économie ont mis un sévère coup d’arrêt à des chaînes de production dont dépendent une grande partie de la population mondiale. Soudain, ce sont des centaines de millions de personnes qui ont vu leur vie basculer dans la plus grande pauvreté. Dès les premiers confinements, des centaines de milliers de Bengalais précaires et sous-payés, travaillant au noir, sont retournés dans leur pays d’origine, laissant parfois derrière eux le seul salaire de la famille. Les longues fermetures des lieux de la consommation et de la production du Nord furent un frein à la propagation du virus pour certains et marquèrent, du même coup, l’interruption de processus de production et, par là, une mise en suspens de l’accès aux moyens de subsistance et aux conditions de la reproduction pour d’autres. Dans l’espace économique global, les mesures anti-covid ont donc nécessairement signifié la mise au chômage et l’appauvrissement de millions de prolétaires. Alors que les gouvernements des pays du centre de l’accumulation ont pu freiner cet appauvrissement accéléré en créant des filets de sécurité, les prolétaires aux périphéries de cette accumulation n’ont pu que subir le choc économique.

3.2. Différenciations de classe et de genre

Comme le remarque justement Andreas Malm, contrairement au dérèglement climatique, qui touche principalement jusqu’à ce jour des espaces périphériques du capitalisme mondial et des populations surnuméraires, la pandémie a frappé très fort au sein des centres capitalistes, et notamment ses population plus âgées et bourgeoises[41]. Cette population s’est parfois auto-confinée, comme aux États-Unis ou au Brésil, ou a été confinée par un État plus « biopolitique » , comme en France. On ne peut donc réduire les mesures sanitaires de l’État français à des mesures visant à une préservation à long terme de la force de travail productive, puisque celle-ci a continuée de travailler et de s’exposer au virus, tandis qu’une partie non-productive de la population (sa fraction blanche, bourgeoise et âgée) a été relativement protégée du virus. Cela peut peut-être nous rappeler que l’État français n’est pas seulement l’État d’un mode de production basé sur la production de plus-value (tendant par là à devoir préserver la force de travail productive), mais aussi l’État d’une société de classe, qui organise la distribution inégale des risques épidémiques, et attribue ainsi implicitement une valeur différente aux vies des classes moyennes supérieures et de la bourgeoisie et à celles des prolétaires.

Les stratifications géographiques et nationales recoupent donc, dans le cas du covid-19 comme du dérèglement climatique, des différenciations de classe à toutes les échelles nationales dans tout l’espace mondialisé. Que ce soit en Inde ou aux État-Unis, cette différenciation procède, de prime abord, de la contrainte même à vendre sa force de travail. À cet égard, l’une des inventions initiales du gouvernement de la pandémie dans les pays du Nord, à savoir la distinction entre travailleurs « essentiels » et « non-essentiels » , fut moins le révélateur d’une nouvelle novlangue que d’une réalité ancienne. S’il est indéniable qu’il existe des tâches plus « essentielles » que d’autres à notre (sur)vie sociale, la distinction en question a surtout servi à justifier que, quoi qu’il en coûte, les gens qui les assurent devaient continuer à accepter leur plus grande exposition au virus. Alors qu’elles étaient reconnues comme « essentielles », les caissières, les soignantes ou les infirmière ont non seulement continué à endurer leur double journée de travail – reproductif pour leur famille et salarié pour leur patron –, mais elles ont aussi vu ces charges augmenter. En effet, pour de nombreux mois leurs enfants ne purent pas aller à l’école pendant qu’elles étaient constamment poussées au « premier rang » du chaos pandémique.

Avec la fermeture des écoles et des crèches, ce sont surtout les mères et les filles aînées qui ont eu à prendre en charge le soin et la formation des enfants à domicile. Filles et jeunes femmes, surchargées d’activités domestiques, ont dû quitter leurs emplois hors de la sphère domestique ou abandonner leurs études, accroissant à la fois leur  précarité au sein de la famille mais aussi celle des familles elles-mêmes. Sans parler des personnes de tous les âges pour qui la vie domestique est l’image même de l’enfer, et qui furent économiquement contraintes de revivre dans des unités familiales hype-normées et productrices de hiérarchisation patriarcales et sexuelles. Sous la contrainte des loyers chers, nombreuses sont celles qui auront subi des violences physiques et psychologiques, dans des logements parfois partagés par de nombreuses personnes, voire plusieurs familles.

De manière générale, les prolétaires, un peu partout dans le monde, auront continué avec ou sans covid à se retrouver dans des lieux de grande promiscuité, à vivre sans distanciation sociale dans des habitations insalubres, tout en étant cantonnés dans des zones davantage exposées à la dégradation de l’environnement et à la maladie. Alors que pour d’autres classes sociales, il a presque exclusivement été question de « se libérer du confinement », pour bon nombre de travailleurs prolétaires, celui-ci n’aura en réalité jamais vraiment commencé. Il suffit de penser aux travailleurs industriels du Nord de l’Italie qui ont dû se battre pour obtenir la fermeture temporaire de leurs usines en mars 2020, ou de rappeler les nombreux travailleurs brésiliens qui déclenchèrent des grèves spontanées et des walk-outs de leur call centers[42].

La distinction entre les « essentiels » et les « non-essentiels » aura donc permis d’entériner, dès les débuts de la pandémie, une distribution inégale du risque d’exposition au virus, l’apanage de la bourgeoisie et d’une partie des classes moyennes étant, à cet égard, de ne pas être économiquement contraintes de se rendre dans des transports et des locaux regroupant des centaines, voire des milliers de personnes. Pourtant, certains ont pu prendre leur expérience de la pandémie pour ce qui se passait vraiment pour tout le monde. On a pu lire des textes[43] affirmant que l’économie mondiale avait été mise à l’arrêt à certains moments de la pandémie. Or, c’est tout à fait faux. Certes, une partie des lieux de production et de consommation ont été fermés, ce qui, comme nous l’avons remarqué, a ébranlé des chaînes de valorisation et donc précarisé de nombreux travailleurs qui en dépendaient. Néanmoins, aller jusqu’à dire que l’économie mondiale fut dramatiquement interrompue, c’est être tout à fait inconscient de ce qu’un tel arrêt systémique impliquerait. Quelques sphères d’activité – tourisme, restauration, commerce de détail, le secteur du sport – et une partie des entreprises n’opérant pas sur des marchés clés, ou opérant dans des zones directement frappées par les premières vagues comme Wuhan et l’Italie du Nord, ont été provisoirement arrêtées. À aucun moment, cependant, la manufacture, la logistique et l’agriculture auront-elles été simultanément mises à l’arrêt. Elles ont simplement connu un ralentissement de l’activité qui avait toutefois déjà commencé avant la pandémie. Mais agriculteurs et ouvriers ont dans leur grande majorité en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et en Europe de l’Est continué de travailler. En Chine, les confinements drastiques temporaires de certaines villes ou de certaines provinces, si elles ont un coût économique local faramineux et ont gravement perturbé la chaîne logistique nationale et internationale, ont permis a contrario au reste de l’économie chinoise de continuer de tourner « normalement » , sans trop exposer au virus l’immense majorité d’une population nombreuse et vieillissante. La stratégie préventive de zéro covid a permis parfois d’éviter des mesures sanitaires à retardement à l’échelle nationale (typique de l’approche française)[44]. Néanmoins, les conséquences économiques négatives de cette politique du zéro covid sont indéniables, et on ne peut simplement y voir une gouvernementalité capitaliste capable de sacrifier momentanément l’activité économique d’une ville ou d’une province entière[45]. 

3.3. « Crise » « sanitaire » ?

3.3.1. Pour une critique de la « politique sanitaire » 

C’est afin de tenir compte des différenciations sociales de la pandémie qu’une critique de la politique sanitaire digne de ce nom relèverait, en premier lieu, le caractère borné de toute focalisation unidimensionnelle sur le « sanitaire » .

En effet, dans les conditions actuelles, le problème fondamental de ce qui se range sous le nom de « politique sanitaire » réside dans l’isolement et la réduction qu’elle opère de son objet. Elle isole son objet au sens où elle érige la « santé publique » en une sphère séparée des rapports sociaux d’exploitation et de domination. Elle réduit son objet en se focalisant sur la gestion de la pandémie, faisant ainsi abstraction de la dégradation systématique plus générale des milieux de vie par le mode de production capitaliste. Cet isolement et cette réduction ne sont pas des erreurs. Elles sont inséparables de la logique des institutions d’un État qui, en temps de pandémie, a pour principale priorité de se maintenir en tant qu’État et, par là,  de consolider les rapports sociaux de production et de circulation. En effet, les mesures gouvernementales censées combattre le virus ne peuvent jamais que traiter les symptômes de la crise écosociale. Résultant de la progression de la déforestation, de l’érosion de la biodiversité, de l’élevage intensif et des monocultures, les zoonoses qui sont probablement à l’origine de la pandémie actuelle et certainement des pandémies à venir sont liées à des contraintes économiques propres au marché mondial capitaliste et à la production agro-industrielle de denrées alimentaires. Comme dans le cas de la crise climatique, on assiste à une dissociation des causes et des effets : ce n’est pas parce qu’un État déciderait de fermer ses centrales à charbon ou d’interdire la déforestation qu’il protégerait son économie et les intérêts de sa classe dominante contre les effets écosociaux destructeurs engendrés par la politique d’autres États. Dans le cadre de la concurrence mondiale, chaque État préfère donc – car il n’a pas d’autre choix en tant qu’État capitaliste – les intérêts économiques immédiats aux intérêts vitaux de la population mondiale. Telle est la logique – perverse, certes – du « laisser-faire » de Bolsonaro à l’égard de la déforestation, au profit de l’agro-industrie du soja, comme à l’égard de la pandémie. Plus encore que le traitement des symptômes de la pandémie, la résolution de ses causes nécessiterait donc d’en finir avec l’État et le capital. 

3.3.2. L’État en temps de pandémie…

Pourtant, les États ont bien pris des mesures pour faire face à la pandémie. Cette politique sanitaire de l’État prend nécessairement la forme d’un pouvoir conditionné notamment par les formes légales et les pratiques de coercition et de surveillance propres à ce même État. Ce pouvoir public, bien qu’il soit effectivement distinct du pouvoir privé sur la production qui est la prérogative des propriétaires des moyens de production, est cependant solidaire de ce dernier. En procédant à des mesures de confinement, voire à l’interruption de certaines activités économiques, l’État ne s’oppose pas à l’intérêt capitaliste en tant que tel. Il cherche plutôt, par des moyens divergents, à réunir les conditions de la reproduction des rapports sociaux d’exploitation et de domination sur le long terme, ce qui implique parfois de sacrifier des intérêts capitalistes singuliers au nom de l’intérêt général que l’État est censé incarner.

En revanche, contrairement à certaines analyses marxistes qui ne voient l’activité de l’État que comme l’appendice du capital, on ne peut nier la relative autonomie des formes de pouvoir et des stratégies de gouvernance qui traversent à la fois l’État, ses institutions et ses acteurs durant le cours de la pandémie. À l’encontre d’un fonctionnalisme simplificateur, le pouvoir étatique s’exerce et se façonne au gré des expériences auxquelles il fait face et qui ne sont pas toujours et immédiatement des conflits de classe. L’État et ses agents ne remplissent pas leur(s) fonction(s) de manière linéaire et automatique. Si l’État moderne existe bel et bien pour assurer la reproduction du capital, il s’efforce aussi, coûte que coûte, de se reproduire lui-même afin de perpétuer toutes les formes de la représentativité de la bourgeoisie. Pendant certaines phases de la pandémie, une inquiétude purement politique, c’est-à-dire électoraliste, a été prégnante dans les classes dirigeantes, quitte à engendrer des tensions entre les factions de la bourgeoisie qui y sont dominantes. Il faut donc ici prendre au sérieux l’hypothèse qu’une partie de la stratégie sanitaire chinoise s’explique par une volonté de maintenir et d’accroître sa légitimité politique en se prévalant d’un nombre de décès par habitant liés au covid-19 très faible tout en maintenant une croissance économique significative. Certes, contrairement à Macron, Xi Jinping n’a pas besoin d’une approbation électorale démocratique de sa politique sanitaire, mais cette absence de besoin de légitimation démocratique du pouvoir chinois n’est peut-être qu’apparente. En effet, la légitimité du Parti aux yeux de sa population tient précisément à ce que sa gouvernementalité, à défaut d’être démocratique, soit efficace et enviée internationalement, en l’occurrence sur un plan sanitaire et économique. Ainsi, la politique sanitaire de l’État chinois démontre l’intrication des enjeux sanitaires et de légitimation politique avec un cadrage techno-sécuritaire et des impératifs économiques.

Quoi qu’il en soit, l’État ne prend en charge les rapports de soin qu’en tant qu’ils entretiennent la survie et la disponibilité des différents acteurs de la production et de la circulation capitalistes. Même en s’en tenant à la question de la santé, force est de constater que les mesures visant à endiguer la circulation du virus ont elles-mêmes eu un impact considérable sur notre santé mentale[46], et que la priorité donnée aux malades du covid-19 a entraîné de nombreux décès causés par d’autres maladies (cancers notamment) par ricochet, de telle sorte qu’une telle « politique » ne peut être dite « sanitaire » qu’à condition de se focaliser exclusivement sur le covid-19. À vrai dire, la « politique sanitaire » de l’État ne peut être « sanitaire » au sens où elle viserait notre épanouissement en tant qu’organismes collectivement dépendants d’un échange métabolique avec la nature. Elle ne peut pas être sanitaire parce qu’elle ne peut pas être écologique : nos milieux de vie ne sont, pour les rapports sociaux de production que l’État encadre, qu’un ensemble de ressources rendu disponible pour le vampire de la valorisation du capital. À la séparation entre le politique et l’économique s’articule celle entre le social et l’écologique, dans la mesure où la société organisée autour de la production de la plus-value se constitue nécessairement en un système faisant fi de la nature. Ici encore, le cas de la Guadeloupe nous invite à sortir d’un schéma manichéen opposant la raison sanitaire de l’État à la passion libertaire du « peuple » : dès ses débuts, la contestation guadeloupéenne du passe sanitaire ne se limitait pas à ce dernier. La contestation de la politique sanitaire en Guadeloupe fut une contestation écosociale : un tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, et selon l’Insee, un jeune actif sur trois est au chômage. Outre la gestion de l’eau et du chlordécone, celle des déchets demeure un problème non résolu. Et pour ne rien arranger, les algues sargasses, malodorantes et toxiques, continuent de s’amonceler sur les plages. Que l’on ne puisse pas s’en remettre aux États existants pour préserver nos milieux de vie, voilà qui n’est donc pas qu’une vérité théorique, mais une expérience quotidienne particulièrement aiguë dans les périphéries du monde capitaliste. 

3.3.3. …est cohérent avec lui-même

Nombreuses sont les analyses[47] qui aboutissent à la conclusion que les seuls moyens de prévenir l’émergence de pandémies comme celle du covid-19 sont la protection des espaces sauvages et la surveillance des environnements propices aux zoonoses. Théoriquement et techniquement, les sociétés dites avancées disposent de quoi faire cela et bien plus. Or, il n’y a rien de contradictoire à ce qu’elles aillent plutôt dans le sens opposé, à savoir celui de la destruction des habitats sauvages et d’une surveillance des zoonoses encore limitée aux environnements les plus à risques et majoritairement urbains. En effet, une protection et une surveillance plus développées exigeraient respectivement l’interruption radicale de nombre de pratiques généralisées par le mode de production capitaliste – l’une des premières étant la consommation de viande – et le développement d’un système de santé pour l’ensemble de l’humanité couplé à un coordination mondiale de la surveillance et de l’action antivirales. Même lorsqu’elles proviennent d’analystes qui ne se veulent pas révolutionnaires, ces diagnostics de la pandémie révèlent donc, une fois de plus, que l’utopie est aujourd’hui du côté de ceux qui pensent que la vie sur cette planète pourrait durablement se poursuivre sous la forme à laquelle nous sommes habitués, dans les conditions créées et maintenues par l’État et le capital.

Il suit de cela que nous ne sommes nullement « sortis » de la pandémie de covid-19. Il est bien plus probable que nous assistions actuellement à une normalisation de celle-ci, et plus précisément à sa naturalisation, c’est-à-dire son intégration à nos vies sur le mode d’une réalité inchangeable, hors de notre portée. De manière plus ou moins explicite, la levée de la plupart des restrictions et la fin du port du masque valident l’idée selon laquelle la majorité de la population devrait maintenant poursuivre sa vie – tant pis pour les « minorités vulnérables ». En effet, déjà confrontés à une hausse globale de l’inflation et frôlant souvent la récession, les gouvernements capitalistes scieraient la branche fragile sur laquelle ils sont assis s’ils procédaient de nouveau à des mesures impliquant d’entraver la production et la circulation de plus-value. 

Un lecteur de stoff avec lequel nous avons eu le plaisir de correspondre synthétisait ainsi la situation au printemps 2021 : 

...les États sont en train, désormais, de se constituer comme le principal obstacle à l’émancipation et à la bonne santé des populations. Les États en effet maintiennent les conditions par lesquelles les maladies environnementales se développent à grande vitesse depuis des décennies, soit une augmentation des cancers, des maladies cardiovasculaires, des troubles neuro-développementaux, de l’obésité, du diabète de type 2, tout cela aboutissant à une plus grande vulnérabilité aux nouveaux virus, dont le covid-19. Ces maladies chroniques sont les fameuses « comorbidités » du covid-19 dont l’origine n’est pas infectieuse, mais environnementale et donc sociale, institutionnelle.

L’État est donc cohérent dans sa politique sanitaire, qui est le pendant de sa politique générale privilégiant l’économie sur la santé. Elle consiste d’une part à maintenir intactes les causes de la vulnérabilité des populations face aux agents infectieux, et d’autre part à traiter en aval cette vulnérabilité par une vaccination de masse, qu’il faudra renouveler à chaque nouvelle épidémie ou nouveaux variants. 

Pour nous, il suit de cela que la relation de l’État à la vie de ses populations ne saurait être comprise uniquement selon le schéma de la reproduction du rapport social capitaliste. Certes, l’État contribue tant bien que mal, selon des modalités publiques ou privées ou par une combinaison des deux, à assurer la santé des populations, et notamment des couches de celles-ci qui constituent la force de travail productive. Cependant, comme nous l’avons explicité, on ne peut réduire l’État et la gouvernance à la simple « forme politique des rapports sociaux de production dans le capitalisme[48] ». Ceux qui ont cherché à comprendre les raisons plus profondes de la gestion de la pandémie comme l’émanation d’une contradiction inhérente à la reproduction du capital ont excessivement schématisé les tensions et les raisons d’agir (ou de ne pas agir) des gouvernants. L’image d’un État médiateur tiraillé entre, d’un côté, l’objectif court-termiste de garantir (et d’augmenter) les profits et, de l’autre, la nécessité de sauvegarder le rapport capitaliste dans son ensemble en reproduisant une force de travail saine, semble donc abstraite. Les États n’ont pas simplement vacillé entre un côté ou l’autre de la contradiction. Il est devenu plus qu’évident, ces dernières décennies, que les États désinvestissent certains aspects de la  reproduction de la force de travail.

En effet, étant donné que la reproduction du capital a progressivement été déconnectée de celle du travail, une partie croissante de ces populations devient superflue pour le capital. Cette partie n’étant plus essentielle à la survie du capital, rien ne garantit non plus que l’État ne se soucie de la sienne. Depuis plus de vingt ans, on a vu pratiquement tous les États au cœur de l’accumulation capitaliste devenir des parasites d’États aux périphéries de l’accumulation en ce qui concerne la reproduction de la force de travail. Aussi bien les États-Unis, l’Allemagne, ou l’Angleterre profitent d’une manne de travailleuses plus ou moins qualifiées qui émigrent vers des zones où elles peuvent trouver de l’emploi sans que ces États n’aient contribué, par leurs institutions, à la formation de cette force de travail. De même, les capitalistes de nombreux États du centre bénéficient, sans contrepartie importante, d’une main-d’œuvre non ou peu qualifiée qui, pour des durées plus ou moins longues, occupe certains des emplois les moins bien rémunérés, les plus épuisants et les plus dangereux dans le BTP, l’agriculture, les soins à la personne, etc. Si les vieux États-providence se désinvestissent depuis longtemps des secteurs comme ceux de la santé, c’est ainsi précisément parce qu’ils n’ont plus besoin de prendre en charge, de la même manière, la reproduction du rapport social capitaliste dans son ensemble.

Il n’y a donc pas de tiraillement de l’État entre la reproduction de la force de travail et l’impératif de croissance ; le désinvestissement de la première est désormais tout à fait compatible avec la seconde. La Corée du Sud, Taïwan et Singapour s’en sont plutôt bien tirés économiquement dans la pandémie, pourrait-on objecter, précisément grâce à la construction de systèmes (partiellement) publics de santé durant ces dernières décennies. C’est cependant une exception qui confirme la règle : il n’y a pas de contradiction entre le rôle reproductif de l’État et son rôle de garant de la croissance capitaliste. Différents agencements sont expérimentés par les États selon leur position sur le marché mondial et les besoins en prolétaires. De même qu’il est possible de désinvestir le système de santé afin d’ouvrir de nouveaux marchés pour les investisseurs, il est possible d’investir publiquement ce même système pour composer avec une population vieillissante, et ce tout en maintenant une politique d’immigration restrictive. Si la plupart des États ont donc pu s’affoler un peu tard face aux pandémies qui déstabilisent leurs politiques sanitaires, ces dernières sont néanmoins tout à fait compatibles à la fois avec les endémies induites par notre mode de production (qu’elles contribuent d’ailleurs à entériner), mais aussi avec le désengagement progressif de l’État dans la reproduction de sa force de travail nationale.

Conclusion

Une politique réellement « sanitaire » serait une politique refusant d’isoler le covid-19 et – plus généralement – la santé des conditions inséparablement sociales et écologiques dont l'un et l'autre dépendent. De ce point de vue, il n’y a rien de nouveau sous le Soleil. Les conditions sous lesquelles nous sommes contraints de « vivre avec » la mort massive des êtres vivants, qu’ils soient humains ou non, ne pourraient être abolies que dans un mouvement qui imposerait la vie et l’épanouissement de ces êtres comme l’alpha et l’oméga de toute organisation collective. Critiquer la politique sanitaire de l’État n’implique donc ni le rejet de la réalité de la pandémie, ni de se soumettre à une biopolitique modelée selon les besoins du mode de production capitaliste, mais de considérer cette réalité comme un aspect de l'organisme social structurellement malade.

Pour les observateurs, cependant, le gain de ces images réductionnistes est évident : on défend le caractère eurocentriste du point de vue, oubliant la distribution inégale des nations dans la division internationale du travail, et donc la configuration spécifique des questions de classe à l’intérieur de chaque pays avec ce qu’elle implique en termes de rapport personnel et inter-individuel à la pandémie. Ainsi, même en partant des analyses partielles, et des mobilisations les plus confuses de notre temps, sur une question en apparence aussi naturaliste et naturalisante qu’une épidémie, nous en revenons à nouveau au point nodal de toutes nos aspirations : le communisme demeure le seul avenir humain.


[1] https://www.econ.cuhk.edu.hk/econ/images/Documents/Truck_Flow_and_COVID19_220315.pdf ; https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-03-29/china-lockdowns-cost-at-least-46-billion-a-month-academic-says

[2] https://www.nature.com/articles/s41467-022-28537-9

[3] Loi constitutionnelle française No. 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement. https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement

[4] D. Gastaldi, M. Martiniere, « En Guadeloupe, l'eau courante, potable, est devenue un luxe », Mediapart, 12 juillet 2021. https://www.mediapart.fr/journal/france/120721/en-guadeloupe-l-eau-courante-potable-est-devenue-un-luxe#at_medium=custom7&at_campaign=1047

[5] Voir M. Ferdinand, « De l'usage du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe : l'égalité en question », Revue française des affaires sociales, 2015/1, p. 168-169 et M. Eynaud, P. Racon, « Le covid-19 en Guadeloupe : souffrances et résistances », Perspectives Psy, 2021/3, vol. 60, p. 297.

[6] « Covid-19 en Guadeloupe, l'État d'urgence sanitaire sera levé le 14 novembre », Le Monde , 11 novembre 2021. https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/11/covid-19-en-guadeloupe-l-etat-d-urgence-sanitaire-sera-leve-le-14-novembre_6101710_3244.html ; « Grève contre l'obligation vaccinale à la Guadeloupe : 2 pompiers blessés, 2 arrestations », 16 novembre 2021. https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/16/greve-contre-l-obligation-vaccinale-a-la-guadeloupe-2-pompiers-blesses-2-arrestations_6102195_3224.html

[7] « Guadeloupe : une cinquantaine d'agents du GIGN et du RAID envoyés sur l'île », Le Monde, 20 novembre 2021, https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/20/guadeloupe-reunion-interministerielle-de-crise-apres-une-nouvelle-nuit-de-violences_6102973_3224.html ; https://twitter.com/RadioCocotier/status/1465148594630057990 ; https://twitter.com/RadioCocotier/status/1465299089214554112 ; https://twitter.com/RadioCocotier/status/1461805332062216201 ; « A la Guadeloupe, couvre-feu prolongé après une brève rencontre entre des syndicats et le ministre des outre-mer », Le monde, 29 novembre 2021, https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/29/a-la-guadeloupe-couvre-feu-prolonge-apres-une-breve-rencontre-entre-des-syndicats-et-le-ministre-des-outre-mer_6104083_3244.html ; « Guadeloupe : le retour au calme permet un début de dialogue », Le Monde, 3 décembre 2021, https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/12/03/guadeloupe-le-retour-au-calme-permet-un-debut-de-dialogue_6104573_823448.html ; « Un projet d'accord de méthode pour sortir de la crise », Franceinfo, 3 décembre 2021, https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/un-projet-d-accord-de-methode-pour-sortir-de-la-crise-1171444.html ; « Les groupes à peau ont dit non à l'obligation vaccinale, dans les rues de Pointe-à-Pitre », Franceinfo, 4 décembre 2021, https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/grande-terre/pointe-pitre/les-groupes-a-peau-ont-dit-non-a-l-obligation-vaccinale-dans-les-rues-de-pointe-a-pitre-1172281.html

[8] Voir https://www.guadeloupe.gouv.fr/Politiques-publiques/Risques-naturels-technologiques-et-sanitaires/Securite-sanitaire/Informations-coronavirus/COVID-19-Point-de-situation-du-12-octobre-2022-et-recommandations et https://www.santepubliquefrance.fr/dossiers/coronavirus-covid-19/coronavirus-chiffres-cles-et-evolution-de-la-covid-19-en-france-et-dans-le-monde

[9] https://g1.globo.com/politica/noticia/2020/03/26/brasileiro-pula-em-esgoto-e-nao-acontece-nada-diz-bolsonaro-em-alusao-a-infeccao-pelo-coronavirus.ghtml

[10] https://www1.folha.uol.com.br/equilibrioesaude/2020/03/maioria-tem-medo-de-coronavirus-e-apoia-medidas-de-contencao-diz-datafolha.shtml

[11] https://valor.globo.com/brasil/noticia/2021/12/03/pobreza-recuou-em-2020-mas-teria-crescido-sem-auxilio-emergencial-diz-ibge.ghtml

[12] https://www1.folha.uol.com.br/poder/2020/08/aprovacao-a-bolsonaro-sobe-e-e-a-melhor-desde-o-inicio-do-mandato-diz-datafolha.shtml

[13] https://www1.folha.uol.com.br/mercado/2020/08/brasil-nao-aguenta-muito-tempo-de-auxilio-emergencial-afirma-guedes.shtml

[14] Voir https://www.terra.com.br/noticias/coronavirus/bolsonaro-quer-vacina-de-oxford-e-nao-daquele-outro-pais,9af401b6872bd84af4d3fed10a133f0b41vcrlam.html et https://piaui.folha.uol.com.br/bolsonaro-recusou-tres-ofertas-de-vacina/

[15] https://www1.folha.uol.com.br/internacional/en/scienceandhealth/2021/07/vaccine-support-reaches-94-in-brazil.shtml

[16] https://valorinveste.globo.com/objetivo/empreenda-se/noticia/2021/01/28/apps-de-entrega-sao-salvacao-em-pandemia-mas-futuro-de-trabalhadores-preocupa.ghtml

[17] https://www.cnnbrasil.com.br/business/cerca-de-11-4-milhoes-de-brasileiros-dependem-de-aplicativos-para-ter-uma-renda/

[18] G. Agamben, « L'invenzione di un'epidemia », Quodlibet, 26 février 2020,  https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-l-invenzione-di-un-epidemia. Voir aussi du même auteur « Biosicurezza e politica », Quodlibet, 11 mai 2020, https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-biosicurezza

[19] Manifeste conspirationniste, Paris, Seuil, chapitres « Le conspirationnsime est le nom de la conscience qui ne désarme pas » et  « La contre-révolution de 2020 répond aux soulèvements de 2019 ».

[20] À ce propos, voir notre texte « Quelques commentaires sur Endnotes, “Barbares en avant !” », avril 2021, https://www.stoff.fr/au-fil/commentaires-endnotes-barbares

[21] Manifeste conspirationniste, op. cit., chap. « La contre-révolution de 2020 répond aux soulèvements de 2019 ».

[22] C. Polloni, « Le couvre-feu, un outil en voie de banalisation », Mediapart, 29 novembre 2021, https://www.mediapart.fr/journal/france/271121/le-couvre-feu-un-outil-en-voie-de-banalisation

[23] L’hypothèse d’une transmission animaux-hommes à partir du marché de Wuhan, plutôt qu’à partir de l’Institut de virologie de Wuhan, reste en effet la plus probable : https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2022/07/29/des-etudes-montrent-que-la-pandemie-de-covid-19-a-commence-sur-un-marche-de-wuhan-et-que-deux-lignees-virales-ont-ete-transmises-a-lhomme/

[24] Cf. entre autres les travaux de Robert Wallace, traduits en français notamment sur le site d’Agitations, et Andreas Malm, La chauve-souris et le capital, Paris, La Fabrique, 2020, pour une synthèse.

[25] Nous empruntons ici aux analyses et témoignages rassemblés dans Chuang, Contagion sociale. Guerre de classe et pandémie en Chine, trad. P. Arnaud, niet!éditions, Le Mas d’Azil, 2022 (2021).

[26] « Des Chinois voulant manifester s'étonnent de voir leur passe sanitaire soudain virer au rouge », Le Figaro, 15 juin 2022, https://www.lefigaro.fr/international/des-chinois-voulant-manifester-s-etonnent-de-voir-leur-passe-sanitaire-soudain-virer-au-rouge-20220615

[27] Cf. notamment Christos Boukalas, Mark Neocleous, Claude Serfati, Critique de la sécurité. Accumulation capitaliste et pacification sociale (Etérotopia, 2017). Pour une analyse de la politique sanitaire de l’Etat français comme étant cohérente depuis le départ, voir ce qu’en dit le Comité pour l’Extension des Courants d’Air dans l’émission de Sortir du capitalisme « Par-delà conspirationnisme et hygiénisme. Les racines socio-environnementales du covid-19 et sa gestion contradictoire » :  http://sortirducapitalisme.fr/emissions/337-par-dela-conspirationnisme-et-hygienisme-les-racines-socio-environnementales-du-covid-19-et-sa-gestion-contradictoire

[28] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 181.

[29] https://solidarischgegencorona.wordpress.com

[30] Manifeste conspirationniste, op. cit., chap. « La vie n’est rien de biologique ».

[31] https://www.akweb.de/bewegung/zerocovid-warum-die-forderung-nach-einem-harten-shutdown-falsch-ist/

[32] K. H. Roth, L. Gekle, « The Great Fear of 2020 », Endnotes, mars 2022, https://endnotes.org.uk/posts/karl-heinz-roth-the-great-fear-of-2020

[33] « 14.9 million excess deaths associated with the covid-19 pandemic in 2020 and 2021», WHO News release, 5 mai 2022, https://www.who.int/news/item/05-05-2022-14.9-million-excess-deaths-were-associated-with-the-covid-19-pandemic-in-2020-and-2021

[34] Antithesi/Cognord, « La réalité du déni et le déni de la réalité », Antithesi, septembre 2021, https://antithesi.gr/?page_id=977 : « En outre, ceux qui dénoncent les restrictions imposées et les conséquences négatives du confinement, tout en rejetant la réalité de la pandémie, négligent le fait que dans la société capitaliste, la liberté individuelle était déjà formelle et limitée. » Voir aussi G. D., « Covid, crise et résilience capitalistes », mars 2021, https://ddt21.noblogs.org/?page_id=3380 : « Dans des conditions si défavorables, comment les discours et actions anti-vaccins et anti-passe échapperaient-ils à la confusion ? [...] Là comme ailleurs, ce qui domine c’est une exigence de liberté dissociée de ce qui lui donnerait un contenu. Être libre, personnellement ou collectivement, n’a de sens qu’en rapport – voire en opposition – à d’autres personnes et groupes. La “liberté”, pour le patron, c’est la possibilité d’embaucher et de licencier selon ses intérêts ; pour son salarié, c’est de pouvoir revendiquer et s’organiser dans ce but. » 

[35] Antithesi/Cognord, « La réalité du déni et le déni de la réalité », art. cit. : « Lorsque le moi et la liberté individuelle sont érigés en vecteurs de résistance, le moi qui en résulte est un être tourmenté par un sentiment d’humiliation et de perte de contrôle, recherchant par tous les moyens une “restauration de la justice” et se retournant contre tout ce qui dépasse la perception surdimensionnée de son identité. Ce faisant, il fabrique aussi une image déformée de l'État, du monde capitaliste et de ceux qu’il considère comme des alliés ou, au contraire, des ennemis. »

[36] « Covid-19 continues to disrupt essential health services in 90 per cent of countries », UNICEF press release, 23 avril 2021, https://www.unicef.org/press-releases/covid-19-continues-disrupt-essential-health-services-90-cent-countries

[37] L. E. Downey et al., « The impact of Covid-19 on essential health service provision for endemic infectious diseases in the South-East Asia region: A systematic review », The Lancet Regional Health – Southeast Asia, 2022/1, https://www.thelancet.com/journals/lansea/article/PIIS2772-3682(22)00011-7/fulltext

[38] « More malaria cases and deaths in 2020 linked to COVID-19 disruptions », WHO press release, 6 décembre 2021, https://www.who.int/news/item/06-12-2021-more-malaria-cases-and-deaths-in-2020-linked-to-covid-19-disruptions

[39] « Covid-19 takes a heavy toll on women’s health », WHO Africa News, 3 mars 2022, https://www.afro.who.int/countries/congo/news/covid-19-takes-heavy-toll-womens-health

[40] « Covid-19 pandemic fuels largest continued backslide in vaccinations in three decades », WHO Joint News Release, 15 juillet 2022, https://www.who.int/news/item/15-07-2022-covid-19-pandemic-fuels-largest-continued-backslide-in-vaccinations-in-three-decades ; L. Roberts, « Polio, measles, other diseases set to surge as Covid-19 forces suspension of vaccination campaigns », 9 avril 2020, https://www.science.org/content/article/polio-measles-other-diseases-set-surge-covid-19-forces-suspension-vaccination-campaigns

[41] Voir la première partie de son essai La chauve-souris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique, trad. É. Dobenesque, Paris, La Fabrique, 2020.

[42] https://www.autresbresils.net/covid-19-au-Bresil-la-sante-des-employe-es-des-centres-d-appels

[43] Antithesi/Cognord, « La réalité du déni et le déni de la réalité », art. cit., p. 2 et 10 du pdf. Pour un récit similaire, voir aussi A. Tooze, L’Arrêt. Comment le Covid a ébranlé l’économie mondiale, Paris, Les Belles Lettres.

[44] J. Smith et al., « The cost of China’s zero-Covid lockdown », Financial Times, 9 mai 2022, https://www.ft.com/content/6bcf1054-1525-4e6f-bee6-92ed26ae1e33

[45] « La Chine a fait mieux que prévu en 2021 avec une croissance de 8,1% mais est confrontée à une triple pression en 2022 », latribune.fr, 17 janvier 2022, https://www.latribune.fr/economie/international/la-chine-a-fait-mieux-que-prevu-en-2021-avec-une-croissance-de-8-1-mais-est-confrontee-a-une-triple-pression-en-2022-902098.html

[46] Ramiz, L., Contrand, B., Rojas Castro, M. et al «A longitudinal study of mental health before and during Covid-19 lockdown in the French population », Global Health, 17/29, 2021, https://globalizationandhealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12992-021-00682-8

[47] Voir par exemple S. Shah, « Think Exotic Animals Are to Blame for the Coronavirus? Think Again », The Nation, 18 février 2020, https://www.thenation.com/article/environment/coronavirus-habitat-loss/

[48] Anthithesi/Cognord, « La réalité du déni et le déni de la réalité », art. cit., p. 6 du pdf.

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